Art-thérapie et précarité, quels enjeux ? - partie 4/4 - Les effets de l'art-thérapie
EFFETS DE L’ART-THÉRAPIE AVEC LES POPULATIONS PRÉCAIRES
Il est peu probable que l’on donne de l’écho aux expériences qui n’ont pas eu de résultat. Aussi, toutes les publications rendent compte d’un effet plus ou moins prononcé des pratiques d’art-thérapie lorsqu’elles s’adressent à des populations en précarité . Peu de publications font état d’une évaluation détaillée de ce type de prise en charge. Les descriptions de prises en charge justifient le plus souvent la validité de celles-ci par des exemples cliniques plutôt que par des évaluation pré et post déroulement d’atelier.
Jaeken et al. (2015) ont réalisé une mise à jour des évaluations de l’efficacité des
psychothérapies. Ils ont établis que des thérapies différentes pouvaient être également efficientes, mais que ce sont les facteurs communs aux différentes thérapies qui expliquent la plus grande part (30%) du changement. Les attentes du client ou patient sont pour 15% dans ce changement de même que les techniques thérapeutiques, les autres facteurs étant extrinsèques à la thérapie. Les facteurs communs identifiés sont :
- l’alliance thérapeutique,
- l’empathie,
- la considération positive inconditionnelle,
- et, la congruence.
Pour être efficaces, ces 3 dernières attitudes doivent être présentes chez le thérapeute et perçues par le patient.
Furtos (2012) explique l’intérêt des thérapies médiatisées avec les personnes en grande exclusion par le fait que les sujets ne sont plus en état d’ échanger par des paroles mais peuvent trouver dans le regard, l’oreille d’un autre, la capacité d’être rencontrés et ainsi, s’autoriser à une expression par d’autres voies. Mais il constate une évolution semblable lorsqu’un professionnel non soignant est capable de ce décentrer et de se laisser infiltrer par la souffrance psychique.
UNE ÉVOLUTION DES PRODUCTIONS RÉALISÉES. Compte tenu des dispositifs et des compétences des animateurs art-thérapeutes, l’ évolution des productions des patients est l’ élément le plus tangible de l’ évolution éventuelle de ceux-ci. Chaque médium, chaque art mis en oeuvre, a sa propre logique d’appréciation. En ce qui concerne les arts plastiques beaucoup d’ éléments peuvent être repérés :
- la capacité à se saisir des matériels et matériaux à disposition
- la liberté prise par rapport aux propositions de l’animateur
- le plaisir d’exploration des médiums
- la dynamique des productions réalisées
- etc.
Schilz et al. (2015) constatent une évolution des productions des patients, une
diminution des contenus conventionnels et de la banalité, une augmentation de thèmes à valence existentielle et d’une amélioration des qualités formelles et stylistiques.
UN MEILLEUR RAPPORT À SOI. Compte tenu de cette fréquente des-habitation de soi perçue par les psychologues chez les personnes subissant la précarité , la ré-appropriation d’affects, de parts de son histoire, de son corps, etc. paraît un critère intéressant pour la validation d’une prise en charge art-thérapeutique de ce public. Les signes de cette évolution sont sans doute ténus dans leurs d buts et peuvent valoir un arrêt de la prise en charge si celle-ci n’est pas suffisamment contenante pour le ou les patients concernés.
Colignon (2015) rapporte l’engagement d’un patient dans un processus de pensée grâce à la médiation de textes de livres pour enfants. Pour elle, dans ce cadre, le patient s’est autorisé à se relier de nouveau à son monde interne.
Cette amélioration du rapport à soi est également constatée dans des prises en charge de socio-esthétique qui visent à travailler avec le patient sur son image corporelle (Audet et al., 2003)
UNE SORTIE DE L’ISOLEMENT. La délicate ré-appropriation d’un soi qui aura été nié durablement peut être soutenue dans un cadre groupal où le partage d’un vécu commun permet de dépasser le jugement sur soi-même. La capacité d’un atelier à apporter cet élément de groupalité est un facteur favorable d’ évolution.
Colignon (2008) rapporte que l’activité créative en groupe permet de sortir de
l’isolement ; de faire avec les autres ; de partager nouveau, de se relier et se ré-affilier à un groupe social. C’est également le constat réalisé par Faucherre (2010) avec des jeunes immigrées ou issues de l’immigration avec une prise en charge de type groupe de parole et celui de Garnier et Idris (2015) avec des personnes immigrées prises en charge dans une consultation transculturelle à plusieurs voix.
En ce qui concerne les personnes en situation d’exclusion ou de précarité , les résultats obtenus avec une prise en charge médiatisée sont sans doute comparables à ceux d’autres prises en charge. Cependant il y a souvent une grande distance franchir pour la personne précaire pour parvenir à une demande de soin psychique. L’art-thérapie, sans tomber dans le travers d’oublier de se désigner comme telle, peut être une offre latérale, plus à même de favoriser quelques pas vers un mieux être de soi. Mais, comme le souligne l’ étude de Jaeken et al., c’est la relation du patient au thérapeute, ici l’art-thérapeute, qui est le facteur déterminant.
CONCLUSION
L’art-thérapie peut constituer une prise en charge intéressante pour des publics pr sentant des précarités diverses. La confusion entre la prise en charge par l’art-thérapie et les diverses pratiques socialisantes ou occupationnelles est un écueil possible, d’autant plus que le terme " art-thérapies " devient une référence et une mode.
Une réelle prise en charge thérapeutique par ces moyens devrait sans doute passer par plusieurs phases avec les patients :
- redonner le goût d’une expression créative
- trouver un appui groupal dans l’activité
- entrer éventuellement dans un processus psychothérapeutique avec les médiums
privilégiés du patient.
Dans tous les cas une valuation des difficultés psychiques devrait permettre de fixer des objectifs thérapeutiques et d’ajuster la prise en charge. Il est néanmoins important que les capacités d’ écoute de l’art-thérapeute lui permette de s’adapter au patient de telle sorte qu’il puisse se laisser surprendre par les chemins que celui-ci a besoin de prendre, être lui-même un contenant et non un enseignant.
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Références :
- Audet F. et al. (2004), Santé mentale et insertion. Dans M. Joubert (dir.) Santé mentale, ville et violences, p. 295-312. Ramonville-Saint-Agne : Erès
- Colignon M. (2015). De l’art-thérapie à la médiation artistique. Quels professionnels pour
quelles pratiques ? Toulouse : Er s
- Faucherre, F., (2010), Groupe thérapeutique multiculturel pour jeunes migrants. L'expérience d'un groupe de jeunes filles, Psychothérapies 2010/1 (Vol. 30), p. 43-49. DOI
10.3917/psys.101.0043
- Furtos J. (2012). La clinique psychosociale et la souffrance d’exclusion comme paradigmes des situations extrêmes. Dans V. Estellon et F. Marty (dir.) Cliniques de l’extrême, p.265-288.
Paris: Armand Colin
- Garnier H. et Idris I. (2015). Souffrance identitaire l’ preuve du trauma de l’exil et des
traumatismes migratoires, Le journal des psychologues, avril 2015, n 326, p.64-69
- Jaeken M. et al. (2015), Qu’est-ce qui d termine l’efficacité d’une psychothérapie ? Brève mise jour scientifique. Bulletin de psychologie 2015/3 (num ro 537), p.237-242
- Schiltz, R. et al. (2015). La honte d’ tre soi. De l’intérêt de la psychothérapie à médiation
artistique pour la réhabilitation des personnes en situation d’exclusion sociale, Annales Médico-
Psychologiques, 173 (2015), p.681–687
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