Art-thérapie et précarité, quels enjeux ? Partie 3/4 - Quels médiums avec les populations précaires


QUELS MÉDIUMS AVEC LES POPULATIONS 
PRÉCAIRES ?

 Des médiums divers sont utilisés dans l’art-thérapie avec des personnes en situation de précarité. 

- Lacome (2015) fait mention d’une pratique d’art-thérapeute stagiaire à la Halte Femmes de l’association Aurore  à Paris, elle y a animé 48 séances d’atelier auxquelles ont participé 48 femmes. Les médiums utilisés étaient : la peinture, le fusain, le crayon. Un atelier danse était ouvert au même public dans un autre lieu.

- Evers (2013) relate un atelier avec des femmes en maison de quartier. Les médiums proposés tour à tour sont : le modelage en terre du système familial, le collage et la peinture pour représenter un conte, la peinture et les craies comme matières, la représentation d’un évènement en bande dessinée, la représentation de son corps en vraie grandeur avec l’aide d’un tiers, la création d’un doudou personnel.

- Schiltz (2015) détaille une prise en charge groupale multimodale comprenant de la

musicothérapie active et de l’expression picturale et littéraire.

- Colignon (2008) rapporte une expérience d’atelier collectif dans un lieu d’insertion

sociale, où  l’expression passe par le dessin et la peinture, mais aussi où  l’on peut écrire son journal intime.

- Griffith (2015) décrit un atelier d’art plastique à visée thérapeutique pour les personnes sans abri, associé à une coopérative d’artistes plasticiens à visée d’exposition-vente, les usagers ayant la possibilité  de participer aux deux d marches.

- Weinland (1996) est intervenue dans des stages de   re-dynamisation   pour des personnes en réinsertion sociale à la maison d’accueil de Nanterre. Elle y a animé  un atelier d’expression picturale pour des groupes de 12  à 15 personnes.


Les médiums utilisés sont variés, ils d pendent de la compétence de l’animateur. Ce qui semble plus associé à un objectif de réhabilitation sociale ou thérapeutique est la

thématique proposée ou l’organisation groupale des séances.

Dans des ateliers ouverts   une population souvent féminine, dont la difficulté principale est d’ être immigrée, l’expression de sa culture d’origine et des disparités de genre va être privilégiée ainsi que la constitution de la cohérence et du partage intra-groupale (Evers,2013).


Avec des personnes sans domicile, le cumul de précarité  et la faible relation à  soi, vont orienter vers des propositions visant  à retrouver un chemin personnel vers sa propre intériorité  (Schiltz 2015) ou une insertion sociale par l’inclusion dans un collectif artistique (Griffith, 2015).


DISPOSITIFS FAISANT MEDIATION ENTRE L’ART ET LA POPULATION PRÉCAIRE

En observant les diverses situations où  les personnes précaires sont confrontées   à des propositions artistiques nous pouvons identifier plusieurs catégories d’interventions. Certaines interventions sont des d marches artistiques, d’autres des démarches culturelles, quelques-unes seulement sont possiblement thérapeutiques.


L’ARTISTE FAISANT OEUVRE SUR/AVEC LES PERSONNES MARGINALISÉES

Au lieu de faire un séjour exotique, des artistes s’offrent  le plus lointain des voyages,

[…] au bout de la rue, ainsi Cendrine Bonami-Redler (2014)   dans un campement rom de Montreuil  , où  elle découvre qu’  en dessinant leur habitat , elle allait devenir

observatrice des personnes. Vinot (2014) relate une expérience en centre d’hébergement d’urgence où  un artiste peintre vient réaliser des portraits de personnes ainsi accueillies. Les oeuvres ainsi réalisées sur place sont fixées provisoirement aux murs qu’elles viennent habiller. Comme le fait remarque Vinot, l’artiste n’a, dans cette d marche, aucune intention charitable ou thérapeutique, aucune volonté  de faire du bien. Comme l’ écrit Weinland (2010), c’est une démarche qui donne  à l’artiste un nouveau rôle social.


Cependant Klein (1997) valide ce type d’engagement d’artistes auprès de publics

marginalisés. L’intervenant se situe en tant qu’artiste ayant assumé  sa propre part de

marginalité, il n’a pas de visée d’insertion mais de réhabilitation de l’intériorité  des

personnes, de retrouver leur dignité . Il peut s’agir d’interventions en milieu délinquant, toxicomane, psychiatrique, voire carcéral.


LES ATELIERS CRÉATIFS EN MILIEU SOCIAL DÉFAVORISÉ 

Des ateliers artistiques privés, associatifs ou publics sont ouverts à tous ceux qui sont prêts  à  une démarche culturelle personnelle. Pour toucher un public culturellement et/ou financièrement plus  éloigné  de ces activités, des initiatives associatives bénévoles ou subventionnées se sont montées dans des quartiers dits   "sensibles"  ou du moins socialement défavorisés. En sus de donner à  l’animateur d’atelier, artiste ou autre, de se trouver un rôle social, il lui permet de roder ses propres savoirs-faire auprès de publics bénéficiaires non engagés pécuniairement. Pour le mouvement ATD Quart-Monde "créer, c’est exister " et, dans cette logique, des ateliers créatifs sont constamment organisés dans les territoires d’exclusion sociale ou tout particulièrement ouverts aux personnes vivant dans la misère. Jacqueline Page, peintre et volontaire permanente d’ATD Quart Monde accueille régulièrement  des personnes qui ont la vie dure ou qui luttent pour une société  juste, et qui ont trouvé  dans l’art un moyen essentiel d’expression, un moyen d’offrir aux autres leurs talents, la beauté  ou les interrogations qu’ils portent en eux, leur vision du monde. Des personnes qui ont un projet artistique et souhaitent être accompagnées pour le mettre en oeuvre ou  échanger pour élargir leur

expression, leur recherche.   (atd-quartmonde.org, 2015)


Ces ateliers nous paraissent aussi positifs pour le bien-être des personnes que les ateliers dans des milieux plus favoris s socialement. L’intérêt essentiel est qu’en  tant

spécifiques   une population marginalisée, ils lui permettent un accès qu’elle ne

s’autoriserait pas autrement. D’après Daudet (2010), les objectifs de ces ateliers est   la re-socialisation, une réinscription dans le social des participants et non de la thérapie. Cependant, leur objectif social n’est véritablement atteint que lorsque les participants ont trouvé la voie d’un atelier tout venant et peuvent se passer d’une proposition

spécifique.


LES ATELIERS CRÉATIFS EN INSTITUTION POUR PERSONNES MARGINALISÉES

On trouve ce même type d’ateliers réservés  à une population marginalisée dans le cadre plus institutionnel d’un lieu d’hébergement ou de soin. La plupart des lieux qui hébergent de manière plus ou moins durable des personnes marginalisées ou précarisées sont confrontés   une certaine apathie des hébergés. Hors des occupations faisant partie du ‘contrat’ lié à  l’hébergement (soins médicaux, démarches administratives, etc.), les professionnels qui sont occupés toute la journée par leurs propres obligations supportent mal ce vide de l’emploi du temps des accueillis, ils sont donc friands de toutes les occasions d’occuper les personnes : tâches domestiques, jeux de société , ateliers créatifs, n’importe quoi plutôt que la télévision …

Lacombe (2015) fait part d’une expérience d’ateliers de danse et d’arts plastiques de la Halte Femmes. Cet atelier  était intitulé    "Atelier d’art"   et malencontreusement pris pour une activité  ludique occupationnelle.


LES ATELIERS  À  VISÉE THÉRAPEUTIQUE

Dans un contexte où  l’objectif est l’adaptation ou la réadaptation sociale, la visée

thérapeutique est rare, voire, elle inquiète. Et, si elle n’inquiète pas directement les

professionnels de l’action sociale, ceux-ci ont peur de la réaction des bénéficiaires   une proposition clairement thérapeutique. Bizarrement, la découverte dans l’après-coup de la compétence de soignant de l’animateur de l’atelier d’art ne paraît pas plus nuisible que son  énonciation préalable.

Evers (2013) mentionne une expérience en maison de quartier dans un quartier sensible  auprès de femmes immigrées pour la plupart. Elle indique cette expérience comme située hors du soin   mais la réalise néanmoins en co-animation avec une psychologue et art-thérapeute et s’inscrit clairement dans autre chose qu’une activité  occupationnelle ou de maternage .

Quelques centres d’hébergement ou d’accueil de jour ont une offre d’art-thérapie  à

l’usage des publics accueillis. Malheureusement les moyens financiers institutionnels

sont rares et dépendent d’une reconnaissance de la validité  de ce type d’intervention par l’Agence Régionale de Santé.

Colignon (2015) relate tout de m me une intervention en Atelier Santé Ville avec des

allocataires du RSA. Elle utilise des livres d’enfants dans une thérapie individuelle avec un patient.


LA VALORISATION DES PRODUCTIONS ARTISTIQUES DES PAUVRES

Griffith et al. (2015) font part d’une démarche alliant art-thérapie et atelier d’artistes avec des personnes sans domicile. En sus de leur activité en atelier d’art-thérapie, les participants  étaient invités  à  participer à  une coopérative d’artistes qui met en commun non seulement des compétences artistiques mais  également une gestion des oeuvres, de leur exposition et leur vente. Ainsi, la réhabilitation des participants va jusqu’à leur reconnaissance sociale comme artistes et leur rémunération.

Cette démarche demande une offre institutionnelle double avec un versant soin par l’art et un versant intégration dans un collectif d’artiste. Elle permet de valoriser la production d’artistes socialement marginaux sans les déposséder de la production intime qu’ils déposent dans l’atelier d’art-thérapie.

Contrairement aux expériences d’artistes reconnus dans le contexte de l’art brut, il semble que cette expérience de passer par un cadre contenant et accompagné  puisse  éviter la confrontation directe avec le regard critique du public, voie d’un  éventuel acheteur.


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Prendre RENDEZ-VOUS


Références :

- Atd-quart-monde.org (2015), Rencontres artistiques   Commana, récupéré  le 17 avril 2016 sur

http://www.atd-quartmonde.org/rencontres-artistiques-a-commana/

- Bonami-Redler C. (2014), De baraque et baraque, voyage au bout de ma rue. Montreuil : La ville brûle

- Colignon M. (2008), Exclusion et médiation en art-thérapie. La violence de l'exclusion, Empan,

2008/4 (n  72), p. 131-136. DOI 10.3917/empa.072.0131

- Daudet S. (2010). Un atelier d’ écriture dans l’association : “aux captifs la libération”. Dans

J.L.Sudres (dir.), Exclusion et art-thérapie, p. 223-230. Paris : L’Harmattan

- Evers A. (2013). Le grand livre de l’art-thérapie. Paris : Eyrolles

- Griffith, F.J. et al. (2015), Psychotherapy Reframing art therapy to meet psychosocial and

financial needs in homelessness, The Arts in Psychotherapy 46, 2015, p. 33-40

- Klein J.-P. (1997). L’art-thérapie. Paris : PUF

- Lacome V. (2015). Une expérience d’art-thérapie   la Halte Femmes de Paris. Paris :

L’Harmattan

- Schiltz, R. et al. (2015). La honte d’ tre soi. De l’intérêt de la psychothérapie   médiation

artistique pour la réhabilitation des personnes en situation d’exclusion sociale, Annales M dico-

Psychologiques, 173 (2015), p.681–687

- Vinot F. (2014). Pulsion et médiation, qu’est-ce qu’un dispositif ?. Dans F. Vinot et J.-M. Viv s

Les médiations thérapeutiques par l’art, le réel en jeu, p.199-220. Toulouse : Erès

- Weinland, M. (2010). L’artiste face   l’exclusion, un nouveau r le social. Dans J.L.Sudres (dir.),

Exclusion et art-thérapie, p. 53-66. Paris : L’Harmattan

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