Art-thérapie et précarité, quels enjeux ? Partie 2/4- Les Pathologies de la précarité
Les personnes souffrant de précarité montrent le plus souvent les signes de multiples fragilités sociales et de santé . Dans bien des cas on peut parler de cercle vicieux de la misère : une famille d’origine trop précaire pour palier à une rupture dans l’emploi, un couple se disloque et il n’est plus possible d’assumer les charges du véhicule puis du logement.
La personne à la rue aura besoin de beaucoup plus d’efforts pour conserver sa dignité , sa santé , et elle voit se dégrader sa capacité de rebondir et de sortir du marasme. A terme, la santé psychique se dégrade également. Le parcours inverse est aussi fréquent, quant la personne psychiquement fragile ne supporte pas un accident de la vie et ne fait plus face aux frais du quotidien, du logement, et se retrouve sans domicile.
Il est donc souvent difficile sur un simple constat de la situation d’une personne de
différentier les facteurs de fragilité préalables, des facteurs de rupture sociale, de savoir quoi des problématiques psychiques ou des évènements de vie aura été précurseur dans la débâcle personnelle. Quesemand-Zucca (2012) évoque une conjonction de facteurs externes excluant et des processus internes d’auto-exclusion.
"Dans la plupart des cas, rien ne permet de savoir si les symptômes de détresse psychique observés sont à relier à un mauvais état de santé mentale
ou à de mauvaise conditions de vie sociale, familiale ou professionnelle. Nous
constatons seulement une inscription et un positionnement douloureux de l’individu dans son environnement, c’est-à-dire une souffrance par rapport à son identité et sa place sociale." (Audet et al., 2003)
Plusieurs auteurs ont cependant identifié des pathologies récurrentes chez les personnes en précarité. Schiltz (2008) a étudié les populations en grande précarité sociale du Luxembourg. Il fait mention de personnes sans domicile fixe, chômeurs de longue durée, de personnes toxicomanes, d’immigrés ou de réfugiés. L’étude porte sur les troubles de cette population. Il fait le lien entre le chômage et la faible estime de soi et confiance en soi, ainsi que les troubles psychiatriques. Les personnes sans domicile fixe seraient souvent issus d’environnements violents et souffrirait fréquemment de troubles psychotiques ou états limites. Il note que les réfugiés et demandeurs d’asile ont un niveau élevé de stress post traumatique, de dépression et d’anxiété. Les personnes souffrant d’addiction souffriraient de carence narcissique ou d’impulsivité .
Pichon (2010) indique que l’alcoolisation des personnes vivant dans la rue participe de leur socialisation et qu’il est donc difficile d’ échapper à l’addiction alcoolique. Elle
souligne les effets de l’alcool sur les corps : perte de mémoire, troubles du sommeil
… qui se conjuguent avec les effets de la misère physique et vient dégrader l’image et l’estime de soi puisqu’elle offense leur dignité. Lacome (2015) est du même avis et
signale que les soucis administratifs des femmes sans domicile fixe de la Halte ont des répercussions sur le stress, la confiance en soi et des conséquences sur l’identité et l’estime de soi. En ce qui concerne les personnes sans domicile, Mathieu (2014) met en évidence le problème de l’hygiène corporelle du lâcher-prise des règles de présentation de soi. Pour Douville (2012) la grande exclusion " gèle" chez le sujet les possibilités de conflictualisation et d’anticipation, seul son corps est en représentation ; l’auteur y voit ainsi une cause de cette exposition des corps fatigués et repoussants.
A l’inverse, Furtos (2012) voit dans ce laisser-aller des corps une expression d’une
position existentielle de disparition de la sphère sociale. Il décrit un processus de
déshabitation de soi qui touche à la fois le corps, les affects et la pensée.
Concernant les personnes allocataires du revenu minimum, Colignon (2008) fait le
constat : " La plupart des personnes que nous accueillons vivent leur statut de Rmiste sur les versants de la dépendance et de l’abandon en même temps."
Dans sa thèse de psychiatrie consacrée aux immigrés magrébins, Ben Jelloun (1977)
indique que même si un individu arrive avec une solide sécurité ontologique, il va faire par son expatriation l’apprentissage de la solitude et d’une forme de mort, qu’il peut exprimer sous de symptômes somatiques.
Concernant les personnes déplacées, Stitou (2005) remarque :
"La difficulté d’habiter hors de chez soi travers laquelle se manifeste tout un bouleversement de l’unité illusoire mais nécessaire dans laquelle se loge l’identité . Ces plaintes nous donnent entendre que le sentiment du chez soi, qui permet de se mouvoir sans craindre l’errance, est parfois menacé à tel point que la terre étrangère n’est plus espace d’habitat mais lieu de l’angoisse et du mal vivre […] Cette atteinte du sentiment de chez soi […] se traduit par des symptômes d’appel témoignant d’une impossibilité de certains sujets d’investir de nouveaux liens, de se soutenir dans le monde."
Garnier et Idris (2015) font le constat d’une souffrance identitaire liée à l’exil ou à la
migration, cette souffrance peut être accompagnée de reviviscences traumatiques et
mener à des conduites addictives.
Les praticiens qui ont affaire aux réfugiés et demandeurs d’asile (Drozdek, 2010),
constatent des états de stress post traumatique (PTSD). Nguyen (2014) constate dans sa clinique au Centre de santé du Comede à Paris qui reçoit en priorité des patients étrangers, que tous ces patients en grande précarité sociale et administrative vivent dans la peur d’ être arrêtés et renvoyés dans leur pays d’origine. Cette peur se transforme parfois en angoisse de persécution, elle réactive également le trauma qui a motivé le départ. Elle constate également des déréalisations et un sentiment de perte d’identité qu’elle relie au trauma et à la perte de papiers d’identité.
Sans aller aussi loin dans les difficultés vécues, Evers (2013) mentionne le deuil
migratoire comme une souffrance commune aux personnes immigrées.
Références :
- Audet F. et al. (2004), Sant mentale et insertion. Dans M. Joubert (dir.) Sant mentale, ville et
violences, p. 295-312. Ramonville-Saint-Agne : Erès
- Ben Jelloun T. (1977), La plus haute des solitudes. Paris : Point Seuil
- Colignon M. (2008), Exclusion et médiation en art-thérapie. La violence de l'exclusion, Empan,
2008/4 (n 72), p. 131-136. DOI 10.3917/empa.072.0131
- Douville O. (2012). Grandes exclusions et corps extrêmes : de la fabrique du paria. Dans O.
Douville (dir.), Clinique psychanalytique de l’exclusion, p.189-2007. Paris : Dunod
- Drozdek B. et Bolwerk N., Group Therapy With Traumatized Asylum Seekers and Refugees: For Whom It Works and for Whom It Does Not ?, Traumatology, 16(4), p. 160–167. DOI:
10.1177/1534765610388299
- Evers A. (2013). Le grand livre de l’art-thérapie. Paris : Eyrolles
- Furtos J. (2012). La clinique psychosociale et la souffrance d’exclusion comme paradigmes des situations extrêmes. Dans V. Estellon et F. Marty (dir.) Cliniques de l’extr me, p.265-288.
Paris: Armand Colin
- Garnier H. et Idris I. (2015). Souffrance identitaire l’ preuve du trauma de l’exil et des
traumatismes migratoires, Le journal des psychologues, avril 2015, n 326, p.64-69
- Lacome V. (2015). Une expérience d’art-thérapie la Halte Femmes de Paris. Paris :
L’Harmattan
- Nguyen A. (2014). L’agonie administrative des exil s, une clinique de l’asile, L’Autre, cliniques,
cultures et soci t , 2014, volume 15, n 2
- Pichon P. (2010), Vivre dans la rue, sociologie des sans domicile fixe. Saint-Etienne : Publication de l’Universit de Saint-Etienne
- Quesemand-Zucca S. (2012). Remarques d’une psychanalyste sur les d fis que pose la grande
exclusion. Dans O. Douville (dir.), Clinique psychanalytique de l’exclusion, p.189-2007. Paris :
Dunod
- Schiltz, R. et al. (2007). Précarité sociale, marginalisation et pathologie limite : étude comparative de plusieurs groupes de sujets en rupture de projet de vie, L’ volution psychiatrique, 72 (2007), p.453-468
- Stitou, L. (2014). L’Habiter ou le sentiment de chez soi, Revista Latinoamericana de
Psicopatologia Fundamental, vol. VIII, n 1, mars 2005 p. 96-108. Sao Paulo, Brasil
Commentaires
Enregistrer un commentaire